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Les Nuées : Géophonies n°1

Voici un montage sonore d'une performance réalisée sur la Pointe du Grouin où j'étais en résidence artistique l'année passée. J'y ai modifié le paysage sonore, ou encore l'ai « hacké » pour reprendre l'expression de l'artiste Lucien Gaudion, et y ai amplifié l'existant et la « géophonie » avec un dispositif de capteurs piezzo électriques qui captaient les bruissements du sol, rediffusés en temps réel avec le logiciel Ableton Live dans l'espace physique alentour, et ce par un dispositif classique de sonorisation en 3 points.

 

Le concept de paysage sonore a été développé par Murray Schaffer, compositeur dans les années 60, il fait référence à une conception patrimoniale d'un lieu, dont le son participe à l'identification.

L'écologie sonore se distingue de cette conception : il s'agit d'étudier un espace sonore et y définissant les différentes composantes acoustiques, les signatures sonores biologiques, anthropiques ou géologiques.

On distinguera par exemple la « biophonie », les sons des animaux et de l'univers biologique, de « l'anthropophonie », soit les sons produits par l'homme et les machines, de la « géophonie » les sons produits par le bruit du vent, de la tectonique des plaques etc.

Il ne s'agit que d'une grille d'analyse ou de catégorisation, elle peut bien entendu être complexifiée ou conceptualisée d'une autre manière. Elle permet d'établir une méthode d'écoute et analyse spécifique du site choisi. L'écologie sonore se distingue de la bio acoustique, discipline scientifique à part entière d'écoute des signatures sonores animales et de leurs présences ou non au sein des milieux étudiés.

En tant qu'artiste je m'intéresse aux perceptions sonores et à la dimension patrimoniale des territoires, c'est à dire aux cultures locales.

Je m’intéresse aussi particulièrement aux sonorités des espaces naturels et vocalisations animales, qu'il me plaît de comparer selon les lieux géographiques. En règle générale les sons de la géophonie se situent dans les basses fréquences, et très basses fréquences pour les bruits tectoniques. Ces sons infra basses ont une propagation plus lointaine que les médiums et aigus. 

 

Je me suis intéressée aux techniques de navigation des oiseaux et des migrateurs.

Le sémaphore de la Pointe du Grouin est situé en face d'un lieu de reproduction aviaire ayant été décimée par la grippe aviaire de 2023 : l'île des Landes, et de la « vieille rivière » : un chenal de courant allant jusque 11 nœuds, dans lequel j'enregistrais à l'hydrophone les sons de la faune sous marine. Le lieu est encore très riche en diversité animale, de plus une lande qui s'étend depuis Cancale et le long du littoral est assez protégée et comprend diverses espèces animales et de grands mammifères.

Je me suis particulièrement intéressée à la signature sonore de la Pointe : échos du vent, vibrations géologiques, sons des vagues qui fracassent sur la pierre, résonance du courant de la vieille rivière ou encore rugissement dans les haubans en haut du sémaphore. Tout cela constitue une matière sonore pour le plasticien et un paysage à part entière.

 

Je m'y suis également consacré car Jonathan Hagstrum, un géophysicien, développe l'idée que certains oiseaux navigueraient à l'audition, en captant des infra basses et repérant les signatures acoustiques des sites qu'ils fréquentent à des km.

Voici un résumé de conférence donnée au Pays-Bas lors de l'évènement SONIC ACTS en 2015 :

     " Les oiseaux peuvent naviguer avec précision sur des centaines, voire des milliers de kilomètres. Leurs sens sont plus développés que ceux de l'homme et ils peuvent détecter de petites variations de la pression barométrique et du faible champ géomagnétique. Les pigeons peuvent entendre des infrasons de très basse fréquence, des signaux qui peuvent voyager sur des milliers de kilomètres dans l'atmosphère. Jon Hagstrum explique comment les oiseaux pourraient utiliser les signaux infrasonores naturels pour la navigation à longue distance. Cette hypothèse est étayée par le fait que les oiseaux sont désorientés dans les zones d'ombre acoustique et que les courses de pigeons sont perturbées par des bangs soniques. "

 

J'ai effectué des enregistrements de signatures sonores de sites géologiques : des "géophonies", sur d'autres sites proches de nidification des oiseaux marins à des fins de comparaison et pour la beauté des sons ; en imaginant que tous les ans, les oiseaux retrouvent ces lieux de nidification grâce à leur signature acoustique de basses fréquences.

La pointe du Grouin déploie une signature sonore spécifique en fonction des événements climatiques : les vents qui s'y engouffrent créent des sons bien particuliers liés à ces excavations, tandis que les accélérations de courants et les vagues tissent une mélodie d’infra basses.

Ce travail s'inscrit au sein d'un continuum thématique intitulé « Les Nuées » que je poursuis depuis plusieurs années.

 

Les nuées sont des phénomènes mythiques et météorologiques que l'on retrouve dans les récits anciens des marins de la côte nord et les collectes ethnographiques locales. Fées des houles, apparitions mythiques ou cosmiques, brumes de chaleur, tempêtes, dans les récits ces événements sont accompagnés de signaux sonores émis par la terre, la mer, ou des figures cosmiques. Les grottes marines sont des lieux d'écho et de résonance, la vieille rivière émet un son sifflant au plus fort du flot et du jusant. La nuit, le vent s’engouffre dans les câbles et antennes du sémaphore, et fait bruisser les landes autour. Indifférents aux touristes les oiseaux marins écoutent et dialoguent avec la géophonie l'univers sonore de la Ponte du Grouin. Sa mélodie d'ondes de basse fréquence faites de vents, de vagues, de courants et d'échos, son univers sous-marin écouté à l'hydrophone sont déployés dans les géophonies.

 

Voici un lien vers une plateforme où je poste certaines idées et enregistrements sonores de field recording ou des créations de noise et des compositions musicales, effectuées seule ou en trio avec les artistes et chercheuse Tanguy Moaligou et Goupile

 

https://paulinehegaret.bandcamp.com/

Stratigraphie et conflit lié à l'extraction de sable marin

J'ai initié des travaux il y a quelques années sur le thème de l'érosion côtière, voici les « Stratigraphies ». Ce travail s'inspire de La Vie de laboratoire : la Production des faits scientifiques, des sociologues des sciences Bruno Latour et Steve Woolgar paru en 1979. 

Ces images retracent les étapes de la recherche scientifique : Question / dispositif d’Analyse/ Interprétation. Je fais congruer ces différentes étapes au sein d’une seule image dans ces stratigraphies.

 

Ces travaux artistiques font suite des voyages en Asie ou en Amérique, lors desquels j'ai été témoin d'épisodes de submersion marine ou d’inondations. Lors de ma dernière année d'étude universitaire au Brésil, j'ai effectué l'étude d'une réserve au centre de l’Amazonie, la réserve Tapajos-Arapiuns, l'année où l'Amazone a connu sa plus forte crue et décrue. La montée des eaux de l'Amazone est causée par les changements climatiques. De retour en France en 2013 et nous avons essuyé 7 tempêtes à suivre érodant le trait de côte et j'ai initié l'étude des questions d'érosion littorale en analysant les publications de recherche et les cartographies mises en ligne.

 

A cette même période, un conflit entre associations locales et environnementales et une entreprise d'extraction de sable sous-marin captait mon attention. Ce projet impactait le littoral à proximité de l'endroit où j'ai grandi et observé la faune sous marine dans la zone Natura 2000 située en baie de Lannion, au large des plateaux marins des Triagoz et des 7 îles. Ces dernières sont également classées réserve ornithologique. Le projet d'extraction de sable sous marin avait été entériné par Emmanuel Macron, ministre de l'économie en 2015, pour finalement être annulé suite à de très nombreuses actions en justice menées par des élus locaux et des associations, la plus connue étant le Peuple des Dunes du Trégor.

Pour ce travail j'ai trouvé une modélisation 3D de dune sous-marine que j'ai gravée au stylet sur une plaque d'1m70. J'ai pressé cette gravure sur du papier Sumi - appelé également papier japon - résistant et léger. La gravure est réalisée pour être présentée en kakemono. Elle flotte en l'air comme une plume. La dune représentée de manière verticale et associe l'idée d'impermanence et de fragilité au dispositif. Le processus de gravure est dit « à la cuillère », j'effectue moi-même de légères pressions avec mes mains ou un objet sur le papier posé contre la plaque, qui est enduite d'encre lithographique. Je n'utilise pas de presse. Cette technique permet de faire apparaître ou disparaître la dune marine, au gré des frottements mécaniques, ou par analogie des éléments.

 

Enfin pour représenter cette dune j'ai repris le concept de « congruation » que m'avait enseigné le sémiologue et artiste Patrice Hamel, c'est à dire le fait de faire congruer, ou superposer parfaitement diverses images ou concepts sur lune seule et même image. Ici je fais donc congruer la représentation d'une data visualisation : une représentation stratigraphique. La stratigraphie est une discipline qui étudie la succession des différentes strates, couches géologiques avec une représentation 3D de dune sous-marine.

 

J'ai réalisé des gravures qui expriment des idées et situations diverses :

tourbillon, érosion prononcée lors d'un épisode turbulent, ou apparition et disparition via une périodicité des vagues. La gravure présentée en kakemono est aussi soumise aux vents.

On perçoit ensuite une double congruation : la représentation stratigraphique verticale qui a été gravée est de plus en plus érodée, évanescente, les strates peu à peu s'éparpillent et disparaissent.

 

Pour ceux qui ne pratiquent ni la voile au large, le surf, et n'ont pas étudié l'hydrodynamisme (mécanique des fluides) : la période des vagues est leur fréquence, également appelée longueur d'onde. La dune apparaît et disparaît au gré des frottements mécaniques que j'applique, selon des épisodes climatiques ou anthropiques qui la forment et la déforment.

 

Les problématiques d'extraction de sable marin ont été soulevées par les médias, en effet l'ONU estime qu'entre quatre et huit milliards de tonnes de sable marin et sont extraits chaque année pour la production d'asphalte, béton, sable... Les problématiques induites sont nombreuses dont une érosion côtière accrue sur de nombreuses côtes dans le monde, ces barrières sous-marines protègent les littoraux des submersions.

 

Enfin pour voyager autrement, je donne ce lien Pour observer la dune de Perros Guirec sous l'eau.

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Submersion marine et écologie sonore

Lien vidéo panoramique de la structure

 

En mars, nous avons assisté à une marée exceptionnellement forte, avec un coefficient dépassant 110, illustrant ainsi une période de vives eaux. Cet événement a donné lieu à de nombreuses discussions et publications dans les médias et sur les réseaux sociaux, centrées sur les enjeux des submersions marines et de la montée des eaux. Cela a également créé une opportunité parfaite pour moi de mettre en lumière un projet artistique qui m'a passionné. Ce projet s'interroge sur l'avenir des zones côtières, en explorant leurs usages passés et en envisageant leurs transformations futures, grâce à l'ethnologie marine.

 

Ce travail devant le Sillon de Talbert, j'y tiens particulièrement car il me permet également de diffuser des informations techniques sur des procédés de conception architecturale. Enfin il a permis à de nombreux acteurs de secteurs professionnels et associatifs locaux de travailler ensemble pour faire œuvre commune, des spécialistes des patrimoines culturels et écologiques du nord de la Bretagne ont œuvré conjointement pour coconcevoir cet outil d'observation des patrimoines sonores et littoraux.

 

Il fait suite à des problématiques d'érosion côtière et de submersion littorale qui nous intéressent sur cette Presqu'île où nous avons des attaches personnelles et biographiques. 

 

Une tempête d'ouest cumulée à une grande-marée a créé en 2019 une brèche sur le cordon dunaire et l'isthme naturel de 13 km que constitue le sillon de Talbert.

 

L'œuvre pointe notre regard dans cette direction et les questionnements sous-jacents liés à l'anthropocène : 

Cette submersion est-elle la résultante d'une montée des eaux ou un épi phénomène ?  Lorsque les patrimoines côtiers, qui ont traversé des siècles, se retrouvent soudainement en péril, l'urgence de se pencher sur cette problématique devient évidente.

 

Enfin le cahier des charges était passionnant : il s'agissait de réaliser manuellement une structure d'écoute sonore, s'inspirant de diverses technologies emblématiques de l’architecture navale en se référant au patrimoine local, une structure solide et légère qui soit démontable par grutage en hiver lors de : « l'envol des galets », soit les pierres projetées depuis la plage lors des tempêtes d'hiver.

 

Cet abri sonore est un projet porté par le centre de Découverte du Son, celui-ci a pour vocation d’être un lieu d’écoute du Paysage sonore ou Soundscape. L’abri permet d’observer et d’entendre les changements géomorphologiques et éthologiques. La forme focalise sur un point d’écoute, amplifiée par le cône. La focale est situé sur le phare des Héaux. La forme également une balise renversée dont le signal sonore prévient des écueils la nuit, ou la conque, le coquillage marin : premier instrument de musique ou d’écoute.

 

Pour réaliser cette structure j'ai conçu des plans en 3d et effectué une analyse de résistance structurelle et de poids pour que la structure se maintienne sur un muret en béton et soit assez solide et légère pour être démontée en hiver, elle est ainsi grutée via deux anneaux en aluminium soudée sur la structure interne qui permet leur crochetage et le déplacement par un simple engin de manutention. 

Je valorise depuis toujours les circuits courts, comme de nombreux architectes et ingénieur.e.s nous sommes formés à ces questions lors de nos études.

 

  • La structure aluminium est évidemment inoxydable et légère, circulaire et à caisson, elle a permis l'installation de dispositifs électroniques qui sont activés depuis l'extérieur de la structure lorsque des visiteurs s'y installent.

  • Le bois qui recouvre l'intérieur de la structure a été acheté en scierie et est de production locale, il a été dégauchi, déligné et découpé.

  • Le bois extérieur, contreplaqué, je l'ai cintré sur la structure en aluminium et fixé en rivetage aluminium.

  • Enfin pour maximiser sa durabilité je l'ai imprégné à cœur à l'époxy pour rigidifier la structure, suite à cela j'ai disposé une fibre de verre transparente avec un époxy anti-UV pour éviter une érosion par les UV.

Depuis lors j'utilise des résines plus éco sourcées comme un nombre croissant de concepteurs, toutefois celles-ci n'existaient pas auparavant. Ces nouvelles résines ont des propriétés différentes qui ne les rendent pas moins pertinentes mécaniquement.

 

Parmi les divers acteurs présents dans la conception de ce projet, tous œuvrent localement depuis des dizaines d'années sur ces questions ethnographiques et géomorphologiques.

G. Prigent en spécialiste de l’ethnologie littorale avec ses reportages et collectes sonores effectuées auprès des populations locales, auprès des goémoniers, des pêcheur-ses de l'estran et du large, etc. qui sont diffusées dans l'abri sonore,

- Marius (Guy Noel Ollivier) le créateur du centre de découverte du Son qui enregistre les signatures sonores et paysagères du Sillon de Talbert depuis plusieurs dizaines d'années,

- la mairie de Pleubian, et le conservatoire qui gèrent des problématiques ardues de gestion de réserve naturelle à proximité et de conservation du Sillon de Talbert, ou encore l'aide de leurs services techniques,

- l'actuelle direction du Centre de découverte du Son, dont l'acousticien M. Montfort,

- sans oublier les avis ou l'aide en menuiserie et stratification des amis Mael Baron, François André ou encore Tanguy Berthou du chantier Technimer de Paimpol.

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