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          Les récits anciens donnent une place prépondérante à la perception sonore des événements naturels : les brumes, les grandes marées, les tempêtes... Les marins associaient les événements de brume de chaleur ou de brume, qu'ils appellent des « Nuées » aux apparitions des Fées qui habitent les interstices des grottes marines dans l'estuaire de la Rance ou sur le littoral, notamment dans la grotte située en dessous de la pointe du Grouin. Ces pratiques d'écoute de l'environnement proche et littoral ainsi que cette connaissance des événements météorologiques ont disparu et ont été remplacées par d'autres usages liés aux outils numériques ; la vie quotidienne ne nécessitant plus l'analyse du climat ou du paysage sonore. En outre, des phénomènes récents de production de «nuages anthropogéniques» viennent s'ajouter : on confond désormais aisément en été une brume de chaleur avec un épisode de pollution et son corollaire, le nuage de particules fines ; la Nuée, la brume n'est plus le fait d'une fée, ou d'un phénomène naturel climatique mais une production des sociétés humaines. Ce sont ces pratiques et récits anciens tels qu'ils peuvent se mêler aux nouvelles pratiques d'écoute contemporaine par l'intermédiaire notamment des enregistrements sonores géophoniques sur l'espace de la Pointe du Grouin et de l'observation des phénomènes de Nuées contemporaines (animales et atmosphériques) qui fondent le travail de l’artiste.

Grand océan circulaire, 2023

Tirage numérique sur papier coton , 44/30 cm, 1 exemplaire

 

ll s'agit d'une évocation de l'expérience d'observation de la mer depuis le haut de la rotonde du sémaphore, et des dispositifs cartographiques premiers.

Des cartes portolans et des représentations du continent, nommé l'oekoumène avec l'océan tout autour issu de la croyance des marins en un grand océan circulaire entourant la terre.

Pour les Grecs du VIIIe siècle av. J. -C., vivant au temps d'Homère et d'Hésiode, la Terre est perçue comme un disque à peu près plat, entouré par un fleuve circulaire nommé Océan, sans origine et sans fin parce qu'il se jette en lui-même. Aristote prouve la rotondité de la terre en observant les éclipses de lune.

 

Le grand océan circulaire est ici une représentation contemporaine des fluides et aérosols qui nous entourent, et de la manière dont ils sont enregistrés en perçus par les machines technologiques. Cet océan circulaire est effectué à partir d'une analyse de l'atmosphère captées par Lidar, un laser envoyé du sol vers l'atmosphère pour analyser les couches de l'atmosphère.

Le grand océan circulaire fait écho aux rivières de nuages aériennes et leur circulation autour du monde.

Ballon, 2022

Sculpture en couverture de survies cousues et dispositif de ventilation d'air, 200/150 cm

 

Cette montgolfière est réalisée à partir de couvertures de survie cousues. Le revêtement de la couverture mis au soleil réchauffe l'air présent à l'intérieur de la structure et permet à la sculpture-montgolfière de s'envoler. La sculpture évoque les satellites ou encore des télescopes en orbite de par son revêtement et sa matière réfléchissante.

J'ai participé et co-conçu un projet de suivi des particules fines en 2019 via des capteurs et une application mobile. L'artiste Tomas Saraceno a également déployé des projets de suivi de particules fines via des ballons noirs qui se chauffent grâce au soleil et transportent les capteurs au gré des vents, il s'agit du projet Aerocene. Ce ballon est une continuité artistique et un hommage.

 

Narration lumineuse, 2022

Tirages photographiques sur papier avec encadrement, 44/25cm, 8 exemplaires

 

En 2022 on observe une tropicalisation de la mer Méditerranée tandis qu'en Bretagne des proliférations de micro algues toxiques de couleurs rouges et bioluminescentes se sont massivement développées avec le réchauffement global. La prolifération d'algues toxiques lors d'épisodes de "bloom" (ou d'efflorescence) est mondiale. Dans le Pacifique en 2022, au Chili l’eau pourpre cause la mort de millions d’animaux par hypoxie, tandis qu’en Californie la marée rouge produit des vagues bioluminescentes la nuit. Ces phénomènes sont causés par des variables tels que le réchauffement de l’eau, l'upwelling (remontée des sédiments en surface), les courants, rejets azotés (nitrate, ammoniaque, azote) liés aux activités humaines. En 2021, c’est le phénomène La Niña qui provoque le phénomène d’upwelling qui permet l’émergence de ces blooms aux dimensions vertigineuses.

Les théories de panspermie astrale postulent que les premiers organismes sont arrivés sur terre via les comètes et les météorites, chargées en matériel biologique. Cette hypothèse est apparue dans l'antiquité. La mission Rosetta a également prélevé du matériel biologique sur la comète Tchouri, venant étayer ces théories de transmission de la vie et des éléments par voie stellaire.

J'ai reproduis ces effets d'explosion en laboratoire sur du phytoplancton bioluminescent grâce à des ondes, puis j'ai mimé également les photographies des télescopes et leur colorimétrie. Les images reproduisent des série chronologiques d'implosion et d'explosion d'étoiles : supernovas et naines blanches et leur érosion en poussière et micro particules.

Des imaginaires technologiques projettent l'homme dans l'espace, et nombreuses sont les voix qui s'élèvent face à cette volonté de coloniser l'ailleurs alors que la biosphère semble menacée. Les scientifiques aujourd'hui étudient la faisabilité de la construction de nouveau horizons de vie humaine dans l'espace à partir des organismes premiers, bactéries et microalgues en circuit fermé. L'étude de ces organismes permet d'imaginer des futurs possibles ailleurs, également sur terre pour un travail de récupération ou résilience de certains environnements et territoires. Ce projet artistique met en exergue cet nouvel imaginaire, astrobiologique ou exobiologique.

Bruit cosmique, 2022

Production audiovisuelle diffusée sur un écran LCD & écoute au casque

 

Le projet Bruit Cosmique est une recherche vidéo et sonore autour des interactions entre les ondes et leur fréquence avec les réactions phyto planctoniques.

On sait aujourd'hui que les phénomènes stellaires sont reçus jusque sur terre et que l'on peut les traduire en ondes sonore par sonification. La vidéo et la production photographique illustrent ces effets d'explosion et d'implosion qui sont les efflorescences planctoniques à l'échelle planétaire car elles s'étendent parfois sur des kilomètres carrés. La mission Rosetta qui était chargée d'observer la comète Tchouri a ramené un enregistrement sonore que j'ai inséré dans cette vidéo, un son ondulatoire ambigu qui rappelle sans conteste les chants de cétacés ou animaux.
Le matériel biologique est stimulé par diverses ondes dont des voix (la mienne et celle de mon père, biologiste) qui évoquent des mythes maritimes locaux. Comme dans leur environnement naturel, les micro-organismes sont soumis à des stimuli externes produits par ces ondes. Des formes géométriques lumineuses apparaissent à la surface de l'aquarium et révèlent une poétique du plancton, basée sur un mécanisme de défense. J'ai noté que lorsque les scientifiques observent au microscope les micro-organisme, ils développent une véritable affection envers ces derniers. En effet ces micro-organismes ont des organes de mouvement, des flagelles. Ils forment des trajectoires et ont des interactions. Ils vivent en groupe et parfois se battent entre espèces. Quand on voit les microalgues se mouvoir, on ne peut s'empêcher d'y voir de l'intentionnalité. La frontière entre animal et végétal est floue. D'autant plus que ces organismes sont mixotrophes, et ne sont donc plus considérés comme des plantes.


Il y a un trouble dans le taxon. Pour le spectateur l'œuvre est une source de satisfaction et de frustration. Ces mouvements fatiguent les micro-organismes et ces réactions à l'impact du son sont difficiles à comprendre. La problématique perçue est la difficulté d'organiser la synchronisation des cycles de vie inter espèces, et ajuster les temporalités humaines aux modèles écologiques & d'atteindre une conception symbiotique homme/animal (Haraway, 2020).
 

Paréidolies, 2022

Tirages photographiques sur papier avec encadrement, 44/25cm, 2 exemplaires

 

Une paréidolie se rapproche d'une illusion d'optique par laquelle nous associons une forme connue (humaine, animale) à un élément neutre. Un stimulus visuel nous permet de trouver des formes familières dans les nuages par exemple.

Ces visuels ont été effectués par stimulation du phytoplancton bioluminescent. Le phénomène météorologique El Niño se caractérise par des températures élevées dans le Pacifique, il atteint les côtes de l'équateur et du Pérou à la période de Noël, la nativité, qui lui donne son nom d'« El nino » le petit enfant. Ce phénomène climatique stimule les blooms ou efflorescences de plancton. Ces paréidolies évoquent les mythes anciens, guerriers incas, figures cosmiques et tutélaires présentes aussi bien sous les mers et les cieux, ou créatures marines.

 

Membrures, 2023

Sculpture en bois et métal, 125/105 cm, 1 exemplaire

 

J'imagine des sculptures en mouvement, des objets avec lesquels on peut interagir. Des sculptures installées qui dialoguent avec les paysages et leurs histoires. La lecture de plusieurs mythes et légendes relatifs à l'estuaire de la Rance m'a inspiré quelques formes et installations. En Rance on racontait l'envol des pierres et des roches granitiques. Des créatures semi-divines projetaient les pierres situées en bord de rance et de grottes dans le ciel. Ces pierres se retrouvaient au milieu des champs et des marais avoisinant, intactes et dressées comme des menhirs. Cette sculpture de la série Mythophorie sont les Membrures, elles s'inspirent des "membrures" des architectures navales, la structure qui soutient l'ensemble du navire et reçoit les efforts mécaniques. Les sculptures sont prêtes à s'envoler ou simplement échouées. Les mythes et légendes locales faisaient partie d'une culture souvent orale, instaurant des normes sociales et expliquant certains phénomènes naturels. Aujourd'hui d'anciens mythes locaux sont toujours contés et ce dans une dynamique actuelle de folklorisation des territoires, ils n'expliquent plus le réel mais restent des supports d'émerveillement pour ceux qui les entendent.

​Je pense que parfois les mythes ou "mythèmes", ersatz ou morceaux de mythe laissent une emprunte sur un espace géographique et culturel. La maison du Passeur de la Rance abrite des histoires et récits légendaires, due à sa situation de carrefour entre les deux rives. Aujourd'hui et à proximité le cimetière naval de la Passagère et le chantier naval voisin continuent d'attirer les visiteurs. Il est probablement des lieux qui ne cessent de jouer un rôle de catalyseurs d'histoires, d'échouage, d'aventures et de passages. Les membrures sont ce socle commun, qui constitue la culture et se reproduit toutefois avec les infinies modulations que l'on connaît, rarement sans heurts ni chaos. Ces formes évoquent également les petits objets satellitaires et leurs formes coniques.

 

Argos & panoptès, 2023

Tirage numérique sur papier et lentille de fresnel, 30/30 cm , 1 exemplaire

Tirages numériques sur papier et dôme loupe, 30/30 cm, 3 exemplaires

 

Argos est un géant au 100 yeux, dans la mythologie grecque, l’épithète grec Panoptès (Πανόπτης / Panóptês) signifie « celui qui voit tout ».

 

Ces travaux restituent l'expérience d'observation panoptique et atmosphérique lors de ma résidence artistique Les Nuées effectuées à la Pointe du Grouin dans le sémaphore. Je l'ai effectuée en fin de journée et la nuit tombée et en haut du sémaphore pour bénéficier d'un espace sonore et visuel dégagé.

Depuis la rotonde en haut du sémaphore on bénéficie d'une vision circulaire, comme au sein d'un phare, on peut observer les nuages défiler au loin, les embruns qui viennent s'écraser sur les vitres du sémaphore, ou encore les brumes de chaleur se former, observer la voûte céleste dans un espace privilégié.

La navigation astrale est une technique de navigation utilisée depuis l'antiquité, tandis que les héros mythiques donnent toujours leur nom aux constellations.

Ces photographies astrales sont des prises de vues stellaires effectuées selon le calendrier lunaire en Bretagne nord pour capter au mieux la voie lactée, celles-ci sont travaillées pour faire apparaître des amas particulaires d'étoiles entremêlés aux nuages présents dans notre atmosphère terrestre.

Un dôme loupe permet l'observation de détails sur les amas particulaires et de naviguer via des dispositifs de focales sur des cartographies du ciel. Le dispositif évoque la vue panoptique du sémaphore.

Enfin il évoque surtout les représentations du télescope Planck (du nom de l'astrophysicien Planck) du « fond diffus cosmologique ». Ce bruit de fond de l'univers est un rayonnement fossile micro onde généré au début de l'univers, lors du big bang.

 

Géophonies, 2023 

Production sonore, 3 min.

 

Les nuées sont des phénomènes mythiques et météorologiques que l'on retrouve dans les récits anciens des marins de la côte nord et les collectes ethnographiques locales. Fées des houles, apparitions mythiques ou cosmiques, brumes de chaleur, tempêtes, dans les récits ces événements sont accompagnés de signaux sonores émis par la terre, la mer, ou des figures cosmiques. Les grottes marines sont des lieux d'écho et de résonance, la vieille rivière émet un son sifflant au plus fort du flot et du jusant. La nuit, le vent s’engouffre dans les câbles et antennes du sémaphore, et fait bruisser les landes autour. Indifférents aux touristes les oiseaux marins écoutent et dialoguent avec la géophonie l'univers sonore de la Ponte du Grouin. Sa mélodie d'ondes de basse fréquence faites de vents, de vagues, de courants et d'échos, son univers sous-marin écouté à l'hydrophone sont déployés dans les géophonies.

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